Une
place pour la médiation dans la situation pédagogique
Pour conclure ce chapitre, nous allons tenter de trouver
une place pour la médiation pédagogique dans notre deuxième
modèle de la situation pédagogique. Si, dans cette situation, le
médiateur était toujours et seulement l’enseignant, alors la
médiation se confondrait totalement avec notre axe du processus
enseigner. Puisque – nous l’avons vu – tel n’est pas le
cas, nous proposerons une représentation
« dynamique » de la médiation pédagogique
(Figure 1.7 ci-dessous).
Figure 1.7
– Les deux leviers
de la médiation pédagogique
Ce modèle utilise la métaphore du levier
(dont les points d’appui sont a1 et a2). Nous considérons que la
médiation pédagogique est toujours la combinaison (en proportions
variables), la résultante de l’application de deux forces que nous
appellerons « l’obstination didactique » et
« la tolérance
pédagogique »
84.
La première de ces deux forces cherche à rapprocher le savoir de
l’apprenant, tandis que la seconde cherche à rapprocher
l’apprenant du savoir. La flèche à simple orientation de la
« force » didactique symbolise cette obstination qui ne se
relâche jamais, tandis que la flèche à double orientation
indique que la « force » pédagogique ne peut
s’exercer en sens unique, elle doit être souple, élastique,
permettre le « jeu », sans quoi le levier pédagogique
se rompra et le contact avec l’apprenant sera perdu.
Une telle représentation permet de suivre au plus
près l’évolution de la
« quantité » de médiation qui alternativement
« relie l’apprenant au savoir et le sépare de la
situation
d’acquisition »
85.
Elle met l’accent sur une métaphore de l’apprentissage comme
un « rapprochement » qui s’opère entre
l’apprenant et le savoir, rapprochement médiatisé par
l’enseignant, à l’intérieur de la
ZPD telle que l’a définie
Vygotski.
Notre modèle permet également de visualiser
certaines « dérives » de la relation
pédagogique. Si le pôle de l’enseignant
« glisse » le long de l’axe que nous avons
appelé « la visée d’enseignement »,
jusqu’à venir occuper la place située entre
l’apprenant et le savoir, au lieu de faire office de médiation,
l’enseignant devient un obstacle, il fait barrage. De même,
s’il se produit un déséquilibre entre les forces qui
s’appliquent sur les deux « leviers » de la
médiation pédagogique, on obtient soit une situation où le
savoir a certes été didactisé mais se trouve
présenté à un apprenant qui n’a pas été
mis en mesure de se l’approprier, soit la situation inverse, dans laquelle
un apprenant a bien été mis en situation d’apprentissage
mais se trouve confronté à un savoir non assimilable par lui parce
que non didactisé.
En revanche, un certain nombre
d’éléments et de facteurs essentiels de la relation
pédagogique ne sont pas représentés sur ce modèle.
Il s’agit d’une part des éléments de
l’environnement (le pôle écologique de la situation
d’apprentissage, y compris les lieux
de l’apprentissage), et d’autre part du déroulement de
l’apprentissage dans le temps.
En effet, la situation pédagogique se
réduit rarement à la seule médiation pédagogique de
l’enseignant s’adressant à un apprenant. Nous avons vu avec
Aumont et Mesnier que « la fonction d’aide à
l’apprentissage ne peut se résumer à une activité de
médiation. » D’autres ressources, tant humaines que
matérielles, interviennent dans cette situation, dont certaines peuvent,
d’ailleurs, également jouer un rôle médiateur.
Mentionnons simplement pour l’instant le rôle médiateur des
pairs (les autres apprenants lors d’un apprentissage en groupe, même
s’il s’agit d’un groupe réduit à une dyade), en
attendant d’évoquer en détail le rôle médiateur
des autres ressources didactiques, dont la machine.
Remarquons enfin que notre représentation
graphique ne permet d’illustrer qu’un moment donné
d’une situation d’apprentissage, et il y manque donc une dimension
essentielle de l’apprentissage, son déroulement dans le temps.
Après avoir passé en revue un certain
nombre de définitions nous permettant de mieux cerner les domaines
respectifs de la didactique et de la pédagogie, nous en arrivons à
la conclusion que ces deux aspects de la relation éducative ne peuvent
être considérés que dans une perspective de
complémentarité.
S’il est évident que pour comprendre il faut analyser et
qu’analyser c’est réduire la réalité, il faut
néanmoins ne jamais perdre de vue la complexité de la
réalité. Nous citerons Meirieu dont l’invitation à la
complexité reprend comme en écho chacun des processus du
modèle de Houssaye, mais en retenant leur aspect positif, à la
différence du point de vue de cet auteur :
[Il faut] redonner sa complexité [à la
situation pédagogique]... Car une relation plus saine, une construction
didactique plus solide, une attention plus soutenue aux procédures
individuelles sont autant de moyens d’améliorer
l’apprentissage, autant de moyens qui se répercuteront
inévitablement l’un sur l’autre dès lors que
l’on aura le souci de restaurer le triangle et d’introduire
inlassablement le pôle invisible ou caché
(op. cit. : 155).
Mais comment peut-on analyser les relations
privilégiées entre deux pôles de la relation
pédagogique sans rejeter à chaque analyse le troisième
pôle au rang de tiers-exclu ? Nous pensons que, paradoxalement,
c’est en approfondissant notre analyse de chacun des trois pôles de
la situation pédagogique
séparément, que nous
pourrons ensuite revenir à une vision globale et enrichie de ces
détours. C’est ce que nous allons tenter de faire dans notre
prochain chapitre, dans un domaine contextualisé, celui de
l’apprentissage des langues.