1.
3 | Didactique et Pédagogie
Si, dans notre modèle triangulaire, nous nous
plaçons du point de vue de
l’enseignant, nous percevons d’emblée le dilemme
classique auquel se trouve confronté celui-ci : dans la situation
d’enseignement–apprentissage, quelle importance relative convient-il
d’accorder au savoir d’une part et à l’apprenant
d’autre part ? Ce qui revient à se demander quel rapport
entretiennent entre eux les deux axes de la didactique et de la
pédagogie.
1.
3. 1. Didactique et Pédagogie : soeurs ennemies ou même
combat ?
Dans l’usage courant, le qualificatif
« pédagogique » est généralement
connoté positivement, tandis que ce qui est
« didactique » est pédant ou ennuyeux. À titre
d’illustration, nous citerons deux passages extraits de la même page
de l’hebdomadaire
Télérama58.
Pédagogique,
grisant et intelligent, le magazine
Ushuaïa ne se contente pas de nous
faire découvrir la nature, il cherche à nous
l’expliquer.
Dans sa présentation critique d’un
épisode du feuilleton
L’instit, le journaliste dresse
une longue liste des déboires subis par les personnages et conclut :
Il semble que, dans un
souci pédagogique extrême, on ait voulu tout nous
dire : la détresse du père qui perd sa femme [etc., etc.]
Résultat : on est assommé. Mais c’est sûrement
un « assommement »
didactique.
Ainsi, dans le langage journalistique, la
pédagogie cherche à expliquer, ce qui est positif, mais point trop
n’en faut : la tentation de l’exhaustivité mène
la pédagogie tout droit sur le chemin de l’ennuyeuse
didactique
59.
Quittons maintenant le terrain de l’usage courant
pour nous intéresser – dans la littérature du domaine
– aux rapports qu’entretiennent entre elles didactique (D) et
pédagogie (P), ainsi que les rapports qui les lient avec les trois
pôles du triangle pédagogique : enseignant (E), savoir (S) et
apprenant (A). Selon le point de vue adopté par les différentes
auteurs, ces rapports peuvent être d’opposition (#),
d’égalité, de recouvrement ou de quasi-synonymie (=) ou
encore d’inclusion ().
— D
# P
Pour Dieuzaide, didactique et pédagogie sont
« deux disciplines rivales », qu’il définit en
réalité comme complémentaires :
La pédagogie [...] s’efforce de rationaliser
et d’optimaliser
[sic]
les processus d’apprentissage, [tandis que] la didactique [...] cherche
à assurer la transmission optimale des connaissances définies par
les objectifs et les contenus propres à chaque discipline (1994 :
17).
— P
= axe E–A ; D = axes A–S
et E–S
Labelle, qui s’intéresse avant tout aux
relations entre les partenaires de l’acte éducatif, donne de la
didactique une définition « double », qui la
placerait à la fois sur
l’axe apprenant–savoir et sur l’axe enseignant–savoir du
triangle pédagogique :
La pédagogie est la conduite ou
l’accompagnement
60
de celui qui s’éduque, ou encore la relation
d’éducation établie entre l’éducateur et celui
qui s’éduque. L’accent est mis sur les aspects relationnels
de l’apprentissage. [...] La didactique concerne l’accès au
savoir par celui qui s’éduque ou encore l’activité
corrélative d’apprentissage et d’enseignement de celui qui
vise à travers son éducation un développement lié
à l’exercice des ses facultés
intellectuelles
61.
L’accent est mis sur la dimension proprement cognitive de
l’activité éducative (1996 : 4).
— P
D
Dans le champ des langues étrangères,
plusieurs auteurs s’accordent à considérer la
pédagogie comme un sous-ensemble de la didactique :
La Didactique des Langues Étrangères se
définit [...] par le va-et-vient permanent entre les
réalités du terrain pédagogique (la classe de langue) et
les apports de la réflexion théorique dans les domaines
scientifiques concernés (Dabène 1989 :
5)
62.
Ce point de vue est partagé par Bailly, pour qui
le terme Didactique renvoie à une activité de théorisation
dans laquelle
il s’agit [...] de s’abstraire de
l’immédiateté pédagogique et
d’
analyser à travers
toutes ses composantes l’objet d’enseignement,
les buts poursuivis dans l’acte
pédagogique, les stratégies utilisées par
l’enseignement [...] (1997 :
10)
63.
Plus précisément, dans le cadre de la
DLE64,
cette
auteure
65
est très claire sur la
subordination de la Pédagogie
à la Didactique, considérant que la première
« constitue la composante appliquée » de la seconde
(
op.
cit. : 19).
Pour Narcy également, les champs de la
pédagogie et de la didactique se recouvrent :
Un apprenant qui souhaite connaître une L2 doit
accomplir un certain nombre de tâches
(t1 à
tn qui impliquent
l’interaction de plusieurs paramètres
(p1 à
pn). [Tandis que] le
pédagogue peut se satisfaire de la simple connaissance du fonctionnement
des tâches et de l’influence des paramètres les plus
marquants[,] le didacticien se tournera vers les diverses sciences sur
lesquelles la didactique des langues s’appuie (1997 :
50-51).
Une question se pose alors, à laquelle les auteurs
cités ne répondent pas ou incomplètement : si le champ
de la didactique inclut celui de la
pédagogie, si – pour citer Narcy – un pédagogue est
celui qui « se satisfait d’une simple connaissance »
des tâches et des paramètres de la relation pédagogique,
faut-il en conclure qu’un bon enseignant devra être à la fois
un pédagogue et un didacticien ?
— P
= axes A–S, E–S et E–A
D’après Filloux, la pédagogie,
d’abord « art » est devenue « science
d’éduquer » :
La finalité de la Pédagogie est de
déterminer les objectifs et les méthodes (stratégies et
techniques) qui caractérisent la transmission sociale ou
interindividuelle du savoir. [...] [Il s’agit de développer] un
corps de connaissance sur la problématique psychologique en jeu dans le
rapport enseignant–enseignés, de même que sur le rapport de
l’apprenant aux contenus (cité par Bailly, 1997 :
31).
On voit ici les spécialistes des Sciences de
l’Éducation envahir totalement le champ de la relation
pédagogique, en attribuant à la seule Pédagogie, dont ils
se proclament les représentants, outre son domaine
privilégié des rapports E–A, les domaines que d’autres
réservent à la didactique ou à la psychologie de
l’apprentissage. Il s’agit des rapports E–S
(« les stratégies et techniques de la
didactisation ») et des rapports A–S (« le rapport de
l’apprenant aux contenus »). Bien que la
« transmission du savoir » soit explicitement
mentionnée dans cette citation, le spécialiste des Sciences de
l’Éducation ne s’intéresse pas au contenu des
« contenus ». Il s’intéresse au concept
d’apprendre, ou d’apprendre à apprendre, mais pas à
« apprendre quelque chose » et, puisque la didactique est
toujours la didactique d’une discipline, il la renvoie vers les
spécialistes des disciplines.
Ce point de vue est également adopté par
Legendre (1988), pour qui la « relation pédagogique »
subsume didactique, enseignement et apprentissage
(
Figure 1.4).
— D
= axes A-S, E-S et E-A
D’autres auteurs élargissent au contraire le
champ d’application de la didactique, jusqu’à lui faire
recouvrir la totalité des interactions du triangle pédagogique (en
plaçant toutefois le savoir au centre de ces
relations) :
Dans son acception moderne, la didactique étudie
les interactions qui peuvent s’établir dans une situation
d’enseignement–apprentissage entre un savoir identifié, un
maître dispensateur de ce savoir et un élève
récepteur de ce savoir (Raynal et Rieunier, 1997 : 108).
Demaizière et Dubuisson essaient de
délimiter les deux champs de la didactique et de la pédagogie,
dans le milieu de la formation par
l’
EAO. Ces auteures remarquent que,
dans ce milieu, « on crée des
matériaux pédagogiques
appelés
‘
didacticiels’ »
66.
Sur le terrain, « les formes de pratiques appartiennent, selon les cas
et la communauté de référence, à la didactique ou
à la pédagogie », si bien que
« l’imbroglio peut être total » (1992 :
186, 188). Elles citent Lerbet (1984), à qui nous avons emprunté,
pour construire notre propre modèle de triangle pédagogique,
l’idée que « la didactique procède de la gestion
de l’information », tandis que le domaine de la pédagogie
est celui de « l’économie de la médiation ou [...]
de la communication »
(
op. cit. : 187).
Sans vouloir anticiper sur notre étude de la place de la machine dans le
triangle pédagogique, notons qu’il semblerait que – dans ce
contexte – ce soit la situation d’enseignement avec machine
(l’
EAO) qui fasse émerger le
questionnement sur la validité de la distinction entre didactique et
pédagogie. Serait-ce parce que l’inclusion de la machine dans la
relation pédagogique installe une relation de médiation entre ces
deux axes qui, en quelque sorte, les rapproche ?
Plutôt que de nous risquer à formuler nos
propres définitions de la didactique et de la pédagogie, nous
avons établi, à partir des définitions fournies par les
divers auteurs consultés, un tableau des caractéristiques de ces
champs qui nous paraissent les plus pertinentes pour notre étude
(Tableau 1.4, ci-dessous). Nous suivrons par ailleurs la proposition
d’Astolfi de considérer la relation entre ces deux champs comme
« une différentiation de postures [plutôt qu’] une
délimitation de territoires » (1997 : 67).
Tableau 1.4
– Didactique et pédagogie
1.
3. 2. La Didactique
Develay décrit trois types d’attitude
vis-à-vis de la didactique, selon que le didacticien se propose
« de décrire, de prescrire ou de suggérer des actions
d’apprentissage-enseignement » (1997 : 62-63). Nous ne nous
reconnaissons pas entièrement dans l’attitude du
« didacticien universitaire » qui cherche à
« rendre intelligibles des pratiques » mais ne souhaite pas
« faire des propositions d’actions
[concrètes] ». En effet, étant engagé dans une
recherche-action, notre dessein est non seulement de décrire des
pratiques et d’en proposer une analyse critique mais également
d’en proposer de nouvelles. Nous adoptons là, selon la terminologie
de Develay, la posture du « didacticien formateur » qui
pratique « une didactique de la suggestion ».
— La
didactique des disciplines
Il ressort de notre examen de la littérature du
domaine que la didactique relève d’une recherche
disciplinaire
67,
et que l’on retrouve donc le plus souvent ce terme associé au nom
d’une discipline. Est-ce un hasard si l’exemple choisi par le
dictionnaire
Le Petit Robert pour
illustrer le sens 3 de son article
DIDACTIQUE
« Théorie et méthode de
l’enseignement », est : « didactique des
langues » ? Est-ce un hasard encore si, à
l’université de Haute Bretagne - Rennes 2 où nous
enseignons, le seul enseignement de didactique des disciplines offert aux
étudiants est celui de « Didactique des
Langues » ? Nous pensons que ces faits ne relèvent pas du
hasard mais qu’ils témoignent, au contraire, de l’importance
grandissante du fait didactique dans l’enseignement des langues en France.
Une didactique s’appuie toujours sur une discipline : de même
qu’« apprendre », « enseigner »
est transitif, et même doublement transitif, puisqu’on enseigne
toujours
quelque
chose à quelqu’un. Cependant, la définition suivante
pourrait tout aussi bien s’appliquer à une discipline autre que les
langues, ce qui nous fait penser que le processus
« enseigner » doit comporter des caractéristiques
communes qu’il convient d’étudier avant de passer aux
processus particuliers :
La didactique des langues est la
discipline qui s’efforce de mieux comprendre comment des actions
d’enseignement peuvent engendrer des actions d’apprentissage afin de
proposer des moyens favorisant le passage de l’un à l’autre
(Richterich, 1996 : 57).
Cette définition souligne bien la double
finalité de la didactique : il s’agit de
« comprendre », certes, mais dans le but de
« proposer des moyens », c’est-à-dire
d’agir pour améliorer la situation constatée. Richterich
place ainsi, sans ambiguïté, la didactique dans la perspective du
didacticien praticien, ou encore, pour reprendre la terminologie de Develay
évoquée plus haut, du didacticien-formateur.
En dehors de la didactique des langues, qui nous
intéresse au premier chef, et à laquelle nous consacrerons notre
prochain chapitre, c’est dans le domaine des mathématiques que les
travaux des didacticiens ont apporté leur contribution la plus importante
au cours de ces vingt dernières années. Il s’agit
principalement des travaux de Guy Brousseau, avec la notion de
contrat didactique, et d’Yves
Chevallard avec la transposition
didactique.
— La
transposition didactique
La notion de transposition didactique est
empruntée par Yves
Chevallard
68
au sociologue Michel Verret et peut se définir comme
« l’activité qui consiste à transformer le
‘savoir savant’ en ‘savoir à
enseigner’ ». Bien que cette notion se soit
révélée utile dans la didactique d’autres
disciplines, il n’est pas indifférent de noter qu’elle a
émergé d’abord dans la didactique des mathématiques.
On la retrouve ensuite dans le domaine des sciences, avec G. Arsac
et al. En conclusion de leur
ouvrage
69,
ces auteurs indiquent l’intérêt du concept de transposition
didactique, « susceptible de réinterroger les savoirs de
référence, la structure du savoir savant, la distance savoir
savant–savoir enseigné ». Raynal et Rieunier
précisent que l’une des préoccupations de la didactique des
disciplines consiste à étudier « les précautions
à prendre pour que le ‘savoir appris’ n’obère
pas la possibilité de passer ultérieurement au ‘savoir
savant’ » (1997 : 110).
Ces points de vue sur la transposition didactique mettent
en évidence les précautions que le didacticien doit prendre lors
des opérations de didactisation du savoir savant dans le domaine de ce
qu’on peut appeler les « disciplines à
contenu », telles que les mathématiques, les sciences physiques
et les sciences de la vie. Dans le domaine de la didactique des langues, le
problème se pose différemment, puisqu’il ne s’agit pas
tant pour l’enseignant de transmettre un savoir savant qu’un
savoir-faire. Le problème de la transposition didactique consistera
plutôt à se demander quelle part du savoir sur la
langue-objet (la
métalinguistique) il convient d’intégrer dans un programme
d’apprentissage de la
langue-outil . Autrement dit, on
se posera la question de l’importance réciproque des savoirs et des
savoir-faire dans l’enseignement–apprentissage des langues, question
que nous traiterons au chapitre suivant.
— Le
processus « enseigner »
Dans son modèle du triangle
pédagogique
70,
Houssaye assimile le processus enseigner à la
« pédagogie traditionnelle », une pédagogie
centrée sur les contenus et qui mène le plus souvent à la
passivité de l’élève. En effet, nous dit cet auteur,
dans ce type de pédagogie,
c’est le professeur qui est (ou qui a
été actif) ; c’est lui qui a déjà
opéré les élaborations, [...] [les] processus intellectuels
supérieurs : analyse, synthèse, etc. et il ne reste plus à
l’élève que le devoir, pas la construction du savoir
(1988 : 71).
Ce point de vue a le mérite de nous mettre en
garde contre ce qu’on pourrait appeler les effets pervers de la
didactisation ou, pour reprendre les termes de l’auteur, du
« processus enseigner » : plus l’enseignant
construit le savoir à enseigner, moins il laisse de marge à
l’apprenant pour sa propre construction du savoir à
apprendre.
Houssaye s’appuie sur le fait que « la
position enseignante classique [est] définie par l’axe
professeur-savoir » pour positionner le processus
« enseigner » sur cet axe de son triangle pédagogique
(
op. cit. : 88).
Le choix de cette association « enseigner–pédagogie
traditionnelle », s’il est cohérent dans le cadre de la
théorie de cet auteur, est à notre avis préjudiciable
à l’étude du rôle de l’enseignant dans une
visée médiatrice de la situation
d’enseignement–apprentissage. En effet, s’il y a bien un
processus « former » qui trouve naturellement sa place sur
l’axe enseignant–apprenant du triangle (on forme
quelqu’un), il nous semble que
c’est restreindre la portée du processus
« enseigner » que de le placer sur l’axe
enseignant–savoir. En effet, on enseigne bien
quelque chose (un savoir), mais on
enseigne toujours ce savoir
à
quelqu’un71.
À l’inverse, le modèle
SOMA de Legendre définit la
relation d’enseignement comme une « relation biunivoque entre le
Sujet et l’Agent dans une situation
pédagogique »
72.
Cette conception de la relation d’enseignement nous semble trop
étroite puisque, symétriquement à notre observation
ci-dessus, si on enseigne bien
à
quelqu’un, on lui enseigne toujours
quelque chose (un savoir). De
même qu’une didactique s’appuie toujours sur une discipline
(voir p. 45), le « processus enseigner », qui vise
à rapprocher l’apprenant du savoir, s’appuie toujours
à la fois sur l’axe de la
didactique et sur l’axe de la pédagogie. Nous proposons donc de
renommer « didactiser » le processus de l’axe
enseignant–savoir, l’axe de la didactique, et de faire pivoter de
30 degrés l’axe du processus
« enseigner », depuis le sommet
« enseignant » de notre triangle pédagogique,
jusqu’à l’amener dans une double position de médiane
et de médiatrice (en supposant notre triangle équilatéral).
Nous continuons – avec Lerbet – à attribuer à
l’axe de la didactique la fonction de gestion de l’information, et
à celui de la pédagogie celle d’économie de la
communication. Quant au nouvel axe créé, le processus
« enseigner », nous proposons de lui attribuer une fonction
de
« génie
73
de l’organisation », en référence aux travaux
d’Edgar Morin
(1977)
74.
L’ensemble de ces divers choix nous amène à proposer le
modèle de la Figure 1.6 ci-dessous.
Figure 1.6
–Deuxième
modèle de la situation d’enseignement–apprentissage
Comme
nous l’avons mis en évidence (au § 1.3.1), les champs
d’application respectifs des termes « didactique » et
« pédagogie » sont relativement flous et se
chevauchent souvent. Le terme de « didactique » semble
être le plus facile à circonscrire, dans la mesure où il
renvoie à un type d’enseignement centré sur les contenus et
considéré comme « traditionnel », mais qui,
comme nous le rappelle Houssaye, « existe toujours bel et bien, et
[...] est en situation dominante » (1988 : 50). Plutôt que
de suivre Houssaye dans son identification du « processus
enseigner » avec l’axe didactique, nous avons fait basculer ce
processus en position médiatrice des axes pédagogique et
didactique. Il nous faut maintenant étudier le rôle de
l’enseignant dans la relation d’enseignement–apprentissage,
tout d’abord du point de vue de l’axe de la pédagogie (le
« processus former » de Houssaye) puis du point de vue du
nouvel axe que nous avons défini (notre « processus
enseigner »).
1. 3. 3. La
Pédagogie
Ce n’est pas en étant enseigné et
parce qu’on est enseigné qu’on
apprend.
Roger Cousinet
(1959)75.
Il n’y a pas de rapport direct entre
l’apprentissage et
l’acquisition.
Henri Holec
(1992 : 50).
— L’illusion
pédagogique
Cousinet poursuit ainsi sa dénonciation de ce
qu’il nomme « l’illusion
pédagogique » : « [...] moins on est
enseigné, plus on apprend, puisque être enseigné c’est
recevoir des informations, et qu’apprendre c’est les
chercher » (
op.
cit.). Cette dénonciation de l’illusion pédagogique
s’inscrit dans la longue tradition idéaliste et innéiste
qui, avec Socrate et Platon, considère que la fonction du maître
n’est pas de transmettre des connaissances mais d’être
« un accoucheur » de ce que l’élève sait
déjà, ou qui encore, avec Ivan Illich et A. S. Neill, pense que
l’école obligatoire détruit chez l’enfant le
désir d’apprendre. On pourrait certes rétorquer à
Cousinet qu’être enseigné ce n’est pas – ou pas
seulement – « recevoir des informations » (voir §
Informer n’est pas former).
Quant aux « libres enfants de Summerhill », de
sérieux doutes ont été émis sur leur
prétendue « liberté » d’apprendre. Ces
penseurs et pédagogues ont en tout cas le mérite de rappeler une
évidence : il n’y a pas de rapport
direct entre enseigner et faire
apprendre.
— Le
« processus former »
Que peut faire l’enseignant qui a pris conscience
des dangers de l’illusion pédagogique mais ne veut pas pour autant
se résoudre à plier bagage et disparaître de la
situation d’enseignement–apprentissage ? Sa tentation pourra
être de s’associer avec l’apprenant pour sinon éliminer
le troisième terme du triangle pédagogique, le savoir, tout au
moins en minimiser l’importance. Cette position extrême a pris corps
dans la pédagogique institutionnelle qui, d’après
Houssaye, relève du processus « former » :
« professeur et élèves se constituent comme sujets sur
la scène pédagogique, tandis que le savoir est prié de
faire le mort » (1988 : 152). Parmi les représentants de
cette mouvance, qui prend ses racines dans les mouvements de
l’École active et de l’Éducation nouvelle et chez des
pédagogues comme Dewey et Freinet, on trouve par exemple la
pédagogie non-directive de
Carl Rogers. Le danger de ces
pédagogies, lorsque leurs principes sont poussés à
l’extrême, est de tomber dans ce qu’il est à la mode de
caricaturer et de dénoncer comme le
« pédagogisme » : on « apprend
à apprendre », mais on n’apprend
rien
76.
Il ne faut pas oublier en effet que « si faire apprendre n’est
pas nécessairement le résultat de l’enseignement, il en est
nécessairement le but »
(Reboul, 1980 : 101).
— Une
situation conflictuelle
Si, comme nous venons de le voir, une vision purement
« formatrice » de la relation pédagogique dans
laquelle apprenant et enseignant s’associeraient pour ignorer le savoir ne
peut mener qu’à une impasse, il reste qu’on ne peut
éliminer de la situation d’enseignement–apprentissage son
aspect conflictuel. Cousinet ne dit pas autre chose quand il évoque les
deux mondes distincts dans lesquels vivent le maître et
l’élève et l’antinomie qui règne entre ces deux
univers :
L’un vit dans le monde
de l’enseignement, peine à y faire pénétrer
l’apprenti écolier, et n’y parvient qu’un peu, et
souvent pas du tout. L’autre vit dans le monde de l’apprentissage,
et ayant renoncé depuis longtemps à y faire pénétrer
le maître, peine aussi, s’il est un bon écolier, à
entrer dans ce monde, et dans le cas contraire, ne pouvant rester dans le sien
où il est sans cesse dérangé, [...] s’exile dans le
jeu et dans le rêve
(1959)
77.
Dès que l’on quitte le monde familier,
traditionnel et rassurant des pédagogies du contenu, on voit que le
rôle de l’enseignant a besoin d’être redéfini.
Mais ce nouveau rôle de guide n’est pas facile à
définir. Reboul met l’enseignant en garde contre la tentation de
vouloir trop guider :
On n’apprend pas un labyrinthe à des rats en
les tenant en laisse, ni l’écriture à des enfants en leur
tenant la main. Encore que « tenir » soit la tentation de
tous les pédagogues (1980 : 54).
En plaçant à la
fois le maître et l’élève sur le chemin de
l’apprentissage, Cousinet use d’une belle formule :
[L’écolier] est
à un certain stade ce qu’il est, il sera naturellement et
nécessairement autre au stade qui suit,
le maître
s’abstiendra de l’y conduire, il l’y accompagnera
(1959)
78.
Tourné vers le savoir savant qu’il doit
didactiser afin de le transformer en savoir à enseigner,
préoccupé par la gestion de l’information,
l’enseignant peut, s’il n’y prend garde, perdre de vue le
destinataire de ce savoir, l’apprenant. Aveuglé par la logique
évidente selon laquelle s’articule le savoir à faire
acquérir, il ne voit pas la nécessité de s’appuyer
sur la psychologie de l’apprenant, qui a besoin de comprendre pour
apprendre. Les yeux dessillés sur l’illusion pédagogique,
entièrement occupé à « accoucher » les
connaissances « naturelles » de l’élève,
le maître risque de jeter le bébé avec l’eau du bain,
de faire apprendre à apprendre sans rien faire apprendre au bout du
compte. Et si être enseignant n’était pas être
pédagogue tout court ni didacticien tout court, mais une combinaison des
deux ? Et si le processus « enseigner » consistait
à organiser l’apprentissage en renvoyant, par une action
médiatrice, un savoir didactisé de manière logique et
psychologique, en direction de ce chemin de l’apprentissage qui
mène l’élève vers le savoir et le savoir vers
l’élève? Tantôt guide, tantôt compagnon,
gestionnaire du savoir, et organisateur d’apprentissage,
l’enseignant est toujours et avant tout un médiateur.
1.
3. 4. Enseigner : la médiation pédagogique
Ce qui distingue l’homme comme espèce
n’est pas seulement sa capacité d’apprendre mais
également celle
d’enseigner.
J. S. Bruner,
1983 : 262.
— Qu’est-ce
que la médiation ?
À propos du rôle
de l’enseignant dans la situation
d’enseignement–apprentissage, nous avons parlé à
plusieurs reprises de médiation et de médiateur, sans toutefois
définir ces termes. Au paragraphe 1.2.3, nous avons écrit que
l’enseignant est le
médiateur qui intervient sur le
savoir savant pour le transformer en savoir à faire apprendre. Au
paragraphe 1.3.1, nous avons cité Lerbet (1984), qui définit la
pédagogie comme le domaine de « l’économie de la
médiation ou de la communication ». Enfin, dans notre
deuxième modèle de la situation
d’enseignement–apprentissage
79
nous avons placé l’axe du processus enseigner en position de
médiatrice dans le triangle
pédagogique. Commençons par comparer quelques définitions
des termes
médiation et
médiateur, dans leur emploi
général et dans leur usage en pédagogie.
Le dictionnaire Grand
Robert Électronique définit ainsi le mot
médiation :
1.
(1561). Entremise destinée
à mettre d’accord, à concilier ou à
réconcilier des personnes, des partis... – Arbitrage, conciliation,
entremise, intermédiaire, intervention.
2.
Par ext. (Didact.). Le fait de servir
d’intermédiaire ; ce qui sert d’intermédiaire.
- Philos. Processus créateur par
lequel on passe d’un terme initial à un terme final (dans la
dialectique de Hegel, de Marx...).
Pour Avanzini, la
médiation
c’est l’action de celui qui, lors d’un
conflit, s’efforce de le résoudre en rapprochant ou en conciliant
les points de vue des adversaires, ou qui met en relation des personnes
étrangères l’une à l’autre
(in
Médiation éducative et
éducabilité cognitive, 1996 : 14).
Aumont et Mesnier définissent ainsi ce
qu’ils appellent le « sens commun » de
médiateur :
[...] le médiateur est celui qui favorise la «
négociation » dans un conflit tel que peut le vivre tout apprenant
dans une relation parfois difficile à un objet de savoir qui lui
résiste et le malmène (1992 : 208).
Ces deux dernières définitions reprennent
du premier sens mentionné par le
GRE la notion
d’intervention d’un tiers pour faciliter la résolution
d’un conflit entre deux partis (ou deux parties). Ce point de vue est en
résonance avec les pédagogies de l’apprentissage qui mettent
en avant la notion de « conflit cognitif » et, par ricochet,
insistent sur le rôle médiateur de l’enseignant dans la
résolution de conflits de ce type.
— De
la médiation à la médiation pédagogique
Si nous considérons le sens
2 de
médiation donné par le
GRE, nous pouvons dire
que la définition donnée pour son emploi en didactique ne nous
apporte rien de nouveau, si ce n’est qu’elle semble limiter
l’usage du concept, en ne retenant qu’un seul synonyme
(« intermédiaire »)
sur les cinq proposés pour le sens
1. En revanche, la définition
proposée pour le champ de la philosophie : « processus
créateur par lequel on passe d’un terme initial à un terme
final » ouvre des perspectives intéressantes. En effet, ces
termes pourraient tout aussi bien convenir à la définition de
l’activité d’enseignement–apprentissage
qu’à celle de la médiation pédagogique. Pour des
usages plus ciblés de la notion de médiation dans le champ
pédagogique, voyons ce que nous disent les auteurs du
domaine.
Rappelons que Houssaye définit, dans son
modèle du triangle pédagogique, trois processus :
« enseigner » qui privilégie l’axe
professeur–savoir, « former » qui privilégie
l’axe professeur–élèves,
« apprendre » qui privilégie l’axe
élèves–savoir. Seul le processus
« enseigner », typique des pédagogies traditionnelles
centrées sur le contenu, exclut la médiation. Dans ce type de
pédagogie,
la réciprocité n’est [...] qu’un
leurre car il n’y a pas de médiation entre
l’élève et le savoir ; au lieu de servir de voie de
communication, le maître fait barrage (1988 : 90).
En revanche, le processus
« former » est le type de pédagogie qui institue
pleinement le maître dans son rôle de
médiateur :
[...] le maître n’est plus celui à qui
on s’identifie, c’est un médiateur qui met en place les
structures instituées par le groupe-classe et qui en est le garant :
c’est un créateur, un autorisateur et un ordonnateur de
systèmes de médiations
(idem :
137).
Enfin, dans les pédagogies qui mettent
l’accent sur le processus « apprendre »,
[...] l’idée d’indépendance
renvoie au fait que l’on ne situe plus le maître comme le grand
médiateur entre le savoir et l’élève.
L’individu ou/et le groupe deviennent leurs propres médiateurs dans
l’accès au savoir, avec l’aide du spécialiste
consultable et privilégié qui reste l’enseignant
(idem :
178).
Affirmer que l’apprenant peut « devenir
son propre médiateur dans l’accès au savoir » peut
sembler paradoxal, d’autant que l’auteur continue à affirmer
la permanence de la fonction d’« aide », de
« consultation » de l’enseignant. Le concept
d’« auto-médiation » peut-il avoir un
sens ? Ou bien faudra-t-il redéfinir celui de
médiation ? Nous y reviendrons plus loin dans notre
travail.
Raynal et Rieunier donnent une définition de la
médiation qui s’éloigne sensiblement du sens
étymologique mentionné plus haut :
Ensemble des aides ou des supports qu’une personne
peut offrir à une autre personne en vue de lui
rendre plus accessible un savoir
quelconque. [...] Le langage, l’affectivité, les produits
culturels, les relations ou les normes sociales sont des
médiations. [...]
L’enseignant est un médiateur (1997 :
220)
80.
Ce point de vue est très proche de celui des
« pédagogies de la médiation », exprimé
par exemple dans la suite de la définition que donne
Avanzini :
Dans le registre de
l’éducation, ce concept désigne l’entreprise de celui
qui aménage et facilite la mise en rapport de la culture avec un sujet
qui a, jusqu’alors, échoué à l’assimiler et
à la situation duquel on cherche à remédier
(re-médier). [La médiation] ... est indispensable à
l’activité d’apprentissage
(
op.cit. :
14).
Raynal et Rieunier signalent que – outre le
PEI (Programme d’Enrichissement
Instrumental) de Feuerstein – ce sont les travaux de Vygotski et de Bruner
qui ont principalement contribué à établir la
médiation comme facteur décisif du développement cognitif
de l’enfant.
— Vygotski
et la médiation
Vygotski établit une opposition parallèle
entre les notions de concept spontané et de concept scientifique
d’une part et celles de rapport immédiat et de rapport
médiatisé d’autre part :
La première apparition d’un concept
spontané est ordinairement liée à un heurt direct de
l’enfant avec telles ou telles choses ... des choses réelles, des
choses de la vie. Et c’est seulement après un long
développement que l’enfant arrive à prendre conscience de
l’objet, à prendre conscience du concept lui-même et à
l’employer dans des opérations abstraites.
Le concept
scientifique, par contre, a pour point de départ non pas un heurt direct
avec les choses mais un rapport médiatisé avec l’objet
([1934] 1997 : 371).
La définition de la
ZPD met en
évidence l’importance de la médiation du maître, de la
collaboration avec l’adulte :
Cette disparité entre l’âge mental, ou
niveau présent de développement, qui est déterminé
à l’aide des problèmes résolus de manière
autonome, et le niveau qu’atteint l’enfant lorsqu’il
résout des problèmes non plus tout seul mais en collaboration
détermine précisément la zone prochaine de
développement
(
op.
cit. : 351).
Certes, nous dit
Vygotski, la médiation et la
collaboration de l’adulte ont des limites. En particulier il ne sert
à rien d’apprendre à l’enfant ce que son stade actuel
de développement ne lui permet pas d’apprendre. Pour être
efficace, l’intervention de l’adulte, du maître, doit se
situer dans la
ZPD :
En collaboration l’enfant est plus fort et plus
intelligent que lorsqu’il se livre à un travail autonome, il
résout des difficultés intellectuelles d’un niveau
supérieur mais il y a toujours une marge déterminée,
soumise à des règles strictes, qui définit
l’écart entre le travail autonome et le travail en collaboration
(op. cit. : 353).
Rappelons enfin que, pour cet auteur, l’adulte
n’est pas le seul médiateur entre l’enfant et
l’apprentissage des concepts. En effet,
toutes les fonctions psychiques supérieures sont
unies par une caractéristique commune, celle d’être des
processus médiatisés, c’est-à-dire d’inclure
dans leur structure [...] l’emploi du signe... Dans la formation des
concepts, ce signe est le mot, qui sert de moyen de formation des concepts et
devient par la suite leur symbole (op.
cit. : 199).
Le langage, qui est fait de ces signes que sont les mots,
est ainsi médiateur entre les « choses de la vie » et
les « concepts ». Parmi les formes que peut prendre le
langage, Vygotski s’est intéressé, après Piaget, au
langage égocentrique de l’enfant. Mais, tandis que ce dernier
estime que le destin du langage égocentrique est de disparaître, le
premier formule l’hypothèse que « le langage
égocentrique est un stade transitoire dans l’évolution du
langage extériorisé au langage intérieur »
(op. cit. :
99).
— Bruner
et l’étayage
Après Vygotski, Jerome Bruner, théoricien
de l’apprentissage par la découverte, a développé le
concept de médiation sous diverses appellations, dont le tutorat et
l’étayage
(scaffolding),
qu’il définit ainsi :
[Scaffolding] refers to the steps taken to reduce
the degrees of freedom in carrying out some task so that the child can
concentrate on the difficult skill she is in the process of acquiring (Bruner,
1978)
81.
Vygotski et Bruner s’accordent à
reconnaître l’existence nécessaire d’une zone
« de décalage » entre la résolution d’un
problème ou l’acquisition d’un
savoir-faire
82
par l’enfant seul d’une part et le succès du même type
d’opération, mais à un niveau plus avancé, en
collaboration avec quelqu’un d’autre part. Mais Vygotski
précise que :
la possibilité plus ou moins grande qu’a
l’enfant de passer de ce qu’il sait faire tout seul à ce
qu’il sait faire en collaboration avec quelqu’un est
précisément le symptôme le plus notable qui
caractérise la dynamique de son développement et de la
réussite de son activité intellectuelle. Elle coïncide
entièrement avec sa zone prochaine de développement
(op. cit. : 353).
Il semble ainsi indiquer que la
ZPD est une caractéristique plus ou
moins figée de l’enfant (en tout cas à un moment
donné de son développement) et que le seul
« jeu » possible pour le médiateur se situe
nécessairement à l’intérieur de la
ZPD ainsi définie. En revanche, le
point de vue de Bruner met davantage l’accent sur le rôle actif du
médiateur, à qui il incombe en quelque sorte de
« jauger » les dimensions critiques de la zone de
décalage mentionnée plus haut, afin d’ajuster au mieux
l’étayage. Cette notion d’ajustage est
considérée par Mercer comme l’une des
caractéristiques essentielles de
l’étayage :
[A] crucial, essential quality of
‘scaffolding’ [...] must be that it is the provision of guidance and
support which is increased or withdrawn in response to the developing competence
of the learner (Mercer, 1995: 75).
Dans une étude sur l’interaction verbale et
les séquences potentiellement acquisitionnelles
(SPA), Matthey met bien l’accent sur
la nécessaire modularité de l’étayage, qu’elle
exprime en termes de « places
énonciatives » :
Pour que des
SPA puissent
apparaître, le format interactionnel doit être modulable,
c’est-à-dire qu’il doit tendre vers la convergence des places
énonciatives lorsque la difficulté de la tâche augmente,
pour s’élargir et redonner des places distinctes aux interactants
quand la difficulté est surmontable par l’enfant seul. Cette
indépendance énonciative est nécessaire au mouvement
d’autostructuration qui déclenche les
SPA. Si
l’étayage est trop fort, l’enfant ne peut occuper sa place
d’une manière suffisamment autonome pour être à
même de produire ses propres énoncés (1996 :
72).
Pour conclure, nous citerons les commentaires de Barth,
pour qui
la métaphore de
l’étayage convient bien
pour décrire cette forme de médiation qui, de façon
passagère, soutient la construction aussi longtemps que cela est
nécessaire et qui peut ensuite être retirée quand celle-ci
est solide. Elle permet d’initier les apprenants à une nouvelle
démarche, un peu comme le maître initie l’apprenti en
travaillant avec lui et en lui laissant de plus en plus d’initiative [...]
Le but est, à terme, de réunir les moyens pour qu’il puisse
conquérir son autonomie (1993 : 165).
La métaphore de l’étayage,
appliquée ici à la relation maître–apprenti, met en
évidence une caractéristique essentielle de la médiation
pédagogique : quand elle a accompli son rôle, elle doit
disparaître.
— De
la médiation à l’indépendance
Si toute action de médiation n’est pas une
action didactique et tout médiateur n’est pas un enseignant, il
semble bien que toute relation pédagogique doive inclure des actions de
médiation, et qu’un enseignant ait nécessairement à
jouer un rôle de médiateur. Faut-il pour autant aller
jusqu’à établir une équation
d’équivalence entre enseignement et
médiation ?
Aumont et Mesnier pensent qu’une telle
équation serait réductrice :
La fonction d’aide à l’apprentissage ne
peut se résumer à une activité de médiation. [...]
Le libre accès à des ressources – qu’il s’agisse
de pairs engagés dans le même apprentissage (et pouvant aussi jouer
un rôle de médiateur), d’experts dans un savoir, de documents
ou guides interactifs – constitue un aspect essentiel de toute
démarche d’appropriation d’un nouveau savoir. C’est en
ce sens qu’on peut émettre une réserve quant à
l’emploi du seul terme de médiation pour désigner une
fonction encore mal connue – et donc mal nommée – la fonction
d’aide à l’appropriation des savoirs (1992 :
207).
Dans la perspective d’un auto-apprentissage en
centre de ressources, Sabiron insiste également sur l’aspect
inévitable et nécessaire d’un accès
« direct » de l’apprenant aux
ressources :
La notion de « ressources »
s’élargit aux ressources humaines. L’intervenant
institutionnel peut ne pas être enseignant, ou linguiste mais
méthodologue-conseil, ou expert en audit linguistique. L’apprenant
peut – et doit, progressivement – avoir accès à la
formation et l’information,
sans la
médiation de
l’intervenant83
(1995 : 532).
Qu’on l’envisage sous son aspect
d’intermédiaire entre l’apprenant et le savoir pour
l’aider à résoudre ses conflits cognitifs, ou sous son
aspect d’étayage aux côtés de l’apprenant pour
le soutenir en attendant qu’il puisse voler de ses propres ailes, la
médiation pose toujours problème. Situé dans cette position
d’intermédiaire entre l’apprenant et le savoir, au lieu de
servir de voie de communication, le maître peut – dans une
conception pédagogique centrée sur le contenu – faire
barrage. Bien que, dans la métaphore de l’étayage, le
maître ne prenne plus position entre le savoir et
l’élève, mais aux côtés de ce dernier pour le
soutenir, le confort de ce soutien provisoire peut inciter celui-ci à ne
plus vouloir ou pouvoir s’en passer.
Cette contradiction de la fonction de médiation,
nécessaire dans la relation pédagogique, mais condamnée
à disparaître, est exprimée dans la définition
donnée par Meirieu :
Médiation :
désigne à la fois ce qui, dans le rapport pédagogique,
relie le sujet au savoir et sépare le sujet de la situation
d’acquisition. Elle assure ainsi, contradictoirement mais
indissolublement, la transmission du savoir et l’émancipation du
sujet (1987 : 187).